Détente/ Take Time : un voyage coopératif fascinant entre silence, stratégie et confiance mutuelle

Il y a des jeux qui racontent une histoire sans prononcer un mot. Take Time, signé Alexi Piovesan et Julien Prothière, en fait partie. Édité par Libellud et illustré avec une sensibilité rare par Maud Chalmel, ce jeu coopératif à communication limitée vous invite à un véritable voyage introspectif — une aventure ludique où chaque carte jouée devient une pièce d’horlogerie dans une mécanique collective d’une finesse étonnante.

Accessible dès 10 ans, pour 2 à 4 joueurs et des parties d’environ 30 minutes, Take Time réussit à être à la fois un jeu familial et un défi de coordination exigeant. Derrière ses règles minimalistes se cache une expérience intense, poétique, et parfois presque méditative.

Un concept original : réussir ensemble, sans parler

Le principe de Take Time est aussi limpide qu’astucieux. Ensemble, les joueurs doivent réussir 40 défis, appelés horloges, répartis en 10 chapitres. Chaque horloge propose un défi unique, souvent avec une règle spéciale, et chacune d’elles devient un petit casse-tête collectif.

Le cœur du jeu repose sur trois phases :

  1. La discussion stratégique – Vous élaborez un plan commun sans connaître vos cartes. Vous savez seulement si vos cartes sont Solaires (blanches) ou Lunaires (noires).
  2. La phase de pose – Silence total. Chacun joue une carte à son tour, face cachée, dans l’un des six quartiers de l’horloge, selon la stratégie définie.
  3. La résolution – Les cartes sont révélées, et la tension retombe : la somme des valeurs de chaque quartier doit suivre une suite croissante, sans dépasser 24. Si c’est réussi, on passe à l’horloge suivante ; sinon, on retente, avec une petite aide supplémentaire.

Simple ? En apparence seulement. Car sans communication directe, chaque joueur doit interpréter la logique du groupe, deviner l’intention des autres et doser ses risques. On retrouve ici une sensation proche de The Mind ou The Crew, mais Take Time s’en distingue par son progression narrative et structurelle. Là où les autres s’arrêtent à la pure intuition, ici on avance dans un voyage symbolique, de « l’Éveil » à la « Renaissance », où chaque défi devient une étape dans la compréhension du collectif.

Un vrai défi collectif

Ce qui rend Take Time passionnant, c’est cette tension constante entre réflexion et lâcher-prise. Dès qu’on entre dans la phase silencieuse, les regards se croisent, les sourires se crispent, les sourcils se froncent. Une carte posée au mauvais endroit, et tout s’effondre.

Mais c’est là que le jeu révèle toute sa force : l’échec n’est jamais punitif, il devient une étape de progression. On apprend, on analyse, on rit de nos erreurs, et on recommence. Rarement un jeu aura aussi bien illustré la beauté du travail d’équipe : ce moment où l’on échoue ensemble, pour mieux réussir ensuite.

Et quand enfin, après plusieurs essais, la suite parfaite se révèle — 2, 5, 9, 13, 17, 24 — la table explose en cris de joie. Un vrai sentiment de victoire collective, à la fois méritée et libératrice.

Des mécaniques simples, mais une profondeur incroyable

Là où Take Time impressionne, c’est dans sa courbe d’apprentissage. Les premières horloges se maîtrisent rapidement, parfaites pour découvrir les bases. Mais plus on avance dans la campagne, plus les défis se corsent : nouvelles règles, contraintes inédites, combinaisons de couleurs, restrictions de pose…

On découvre alors la richesse du système. Ce jeu minimaliste en apparence devient un véritable laboratoire de communication non verbale, où l’intuition, la mémoire et la logique se mêlent sans jamais se contredire.

Et contrairement à de nombreux jeux à contraintes, Take Time garde une fluidité exemplaire : les règles se transmettent en quelques minutes, la mise en place est instantanée, et les parties s’enchaînent naturellement. On a toujours envie d’en refaire une, « juste pour voir si cette fois, on y arrive ».

Une direction artistique somptueuse

Impossible de parler de Take Time sans évoquer son esthétique envoûtante. Le travail de Maud Chalmel est remarquable : chaque horloge est un petit tableau, une invitation au voyage. Les teintes lunaires et solaires s’opposent et se complètent, renforçant la dualité du jeu entre rigueur et intuition, lumière et obscurité.

Les cartes, d’une grande qualité, bénéficient d’un vernis sélectif qui les rend aussi agréables à manipuler qu’à contempler. Le matériel est soigné, élégant, à l’image du reste de la gamme Libellud, toujours attentive à la cohérence visuelle et sensorielle de ses créations.

Le tout s’accompagne d’une narration symbolique subtile : chaque chapitre représente une étape du voyage intérieur, de l’éveil à la renaissance. Une idée poétique, simple mais puissante, qui donne du sens à la progression ludique.

Un jeu de coopération pur et gratifiant

Ce qui frappe dans Take Time, c’est sa capacité à créer de la complicité. Même sans mots, les liens se tissent. On apprend à lire les intentions, à anticiper les choix, à se comprendre autrement. Le silence devient un langage, et chaque erreur, un message implicite.

À deux, l’expérience reste plaisante, mais c’est à trois ou quatre joueurs que le jeu déploie toute sa richesse : plus de diversité dans les décisions, plus de surprises, plus de chaos parfois, mais aussi plus de fous rires.

Le jeu atteint alors ce rare équilibre entre exigence et accessibilité, où l’on se sent à la fois mis à l’épreuve et porté par le groupe.

Verdict : un bijou d’horlogerie ludique

Take Time est une réussite éclatante. Original, intelligent, magnifiquement illustré, il renouvelle le genre du jeu coopératif en misant sur la confiance et la coordination silencieuse. Son système progressif, sa rejouabilité impressionnante et sa montée en difficulté parfaitement dosée en font un titre aussi exigeant qu’envoûtant.

Libellud signe ici un jeu à part, poétique, cérébral et émotionnellement fort, qui séduira aussi bien les amateurs de The Mind que ceux de The Crew, tout en proposant une identité bien à lui.

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