Comment les plateformes numériques renforcent la visibilité des compétitions féminines

Le sport féminin souffre depuis des décennies d’un cercle que l’on pourrait qualifier de vicieux, ou du moins gordien : faute de diffusion, il peine à trouver des sponsors ; faute de sponsors, il manque de moyens pour financer une diffusion de qualité. Heureusement, le flux d’initiatives visant à briser cette logique semble en très bonne voie. Plusieurs plateformes numériques ont annoncé des projets très concrets pour booster la visibilité du sport féminin.

Un déficit historique que le numérique a commencé à combler

Revenons un moment sur les chiffres donnant la mesure du déséquilibre. En France, le sport féminin représente encore moins de 20% du volume horaire des retransmissions sportives à la télévision. Pourtant, la demande existe : selon un sondage Odoxa de 2021, 78% des Français souhaitent voir davantage de compétitions féminines à l’écran. Le problème n’est donc pas l’absence de public… mais l’absence d’offre.

C’est précisément sur ce terrain que les plateformes numériques ont ouvert une brèche dès 2021. Au sortir des confinements, DAZN, un service de streaming sportif britannique, avait conclu un accord historique avec l’UEFA pour diffuser l’intégralité de la Women’s Champions League (la Ligue des champions féminine de football). Le contrat, estimé à 8 millions de dollars par an, prévoyait une diffusion gratuite des 61 matchs sur YouTube pendant les deux premières saisons.

Il faut dire que le diffuseur britannique n’avait pas manqué la montée en puissance des paris sportifs sur les compétitions féminines, au Royaume-Uni et ailleurs en Europe. Pour rappel, les paris sportifs consistent à miser de l’argent sur l’issue d’un événement sportif (victoire d’une équipe, score final, performance d’une joueuse) via des plateformes en ligne appelées bookmakers.

Le parieur s’inscrit, dépose de l’argent, identifie une compétition ou un match, pose ses paris. Si l’issue va dans le sens de sa mise, vient le moment de “cash out”, un terme pour désigner le retrait instantané des gains de paris sportifs. Les gains sont donc virés par l’opérateur sur son compte bancaire, son portefeuille numérique ou son portefeuille crypto.

Justement, ces opérateurs/bookmakers ne proposent de marchés que sur les compétitions suffisamment suivies pour générer un volume de mises rentable. Le fait qu’ils développent désormais leur offre sur le sport féminin constitue donc un signal fort. Aux États-Unis par exemple, la hausse des paris est fortement tirée par la WNBA (le championnat professionnel de basketball féminin) et le circuit WTA (le tennis féminin).

2025, une année charnière pour la visibilité des compétitions féminines

Après DAZN, le relais est désormais pris par des acteurs plus puissants. À partir de la saison 2025-2026, Disney+ diffusera à son tour la Women’s Champions League dans plusieurs pays européens, dont la France, dans le cadre d’un contrat de cinq ans. La chaîne L’Équipe proposera également un match par journée en clair.

Ce passage de DAZN à Disney+ dénote une évolution (très) significative : le football féminin n’est plus seulement un terrain d’expérimentation pour plateformes émergentes, il intéresse désormais les géants du streaming.

Si bien qu’en France, le groupe TF1 lui aussi a décidé qu’il était temps de mettre de l’argent sur la table. Il a donc acquis les droits de trois compétitions féminines majeures pour 2025 : l’Euro de football en juillet, la Coupe du monde de rugby en septembre et le Mondial de handball en novembre. Tous les matchs des équipes de France seront diffusés en clair, sur TF1 ou TFX, avec un accès gratuit en streaming sur TF1+.

Cette concentration de contrats signés sur une même année est pour le moins inédite. Elle témoigne d’un changement de regard : les diffuseurs traditionnels considèrent désormais le sport féminin comme un contenu capable d’attirer des audiences significatives en prime time.

Le phénomène dépasse le sport traditionnel

Dans l’esport (les compétitions de jeux vidéo), l’éditeur Riot Games a créé en 2021 le circuit VCT Game Changers, une ligue internationale dédiée aux joueuses professionnelles sur le jeu Valorant.

En 2024, cette compétition représentait près de 60 % du temps de visionnage total de l’esport féminin dans le monde ! 

En France, la Coupe des Étoiles, organisée sur League of Legends, a tenu sa finale à la Paris Games Week devant un public venu spécifiquement assister à cette compétition. Ces ligues structurées offrent aux joueuses ce qui manquait jusqu’alors : un cadre compétitif reconnu, médiatisé et capable d’attirer des sponsors.

Ces évolutions reposent sur des choix volontaristes d’acteurs qui ont décidé d’investir avant que la rentabilité ne soit garantie. La gratuité initiale de la Women’s Champions League sur YouTube, l’engagement de TF1 sur trois compétitions la même année, la création de ligues esport dédiées : dans chaque cas, la visibilité a précédé les revenus. De quoi inverser quelque peu la logique habituelle du marché des droits sportifs.

Reste une question : cette dynamique peut-elle se pérenniser sans le soutien continu des plateformes et des diffuseurs ? Le sport féminin gagne en exposition, mais ses revenus restent très inférieurs à ceux du sport masculin. L’écart entre la visibilité nouvelle et la professionnalisation effective demeure considérable. Les années qui viennent diront si cette fenêtre d’opportunité débouche sur une transformation durable, ou si elle restera une parenthèse.

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